La crise sanitaire que nous connaissons entraîne une série de bouleversements économiques inédits à l’échelle mondiale. Acquisitions, scissions, cessations, mouvements de personnels, mais aussi accélération de la transformation digitale et réorganisation des process, sont au cœur des problématiques actuelles. Dans ce contexte, nombreuses sont les entreprises qui cherchent à réduire leurs coûts et à se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée, génératrices de revenus.
Certains font le choix de l’externalisation pour se (re)concentrer sur leur cœur de métier. Une autre option présente de nombreux atouts pour les entreprises nationales et multinationales : la création d’un centre de services partagés.
Le CSP : mutualisation, optimisation et productivité
Un centre de services partagés (CSP), également appelé centre ou plateforme d’expertise, est un pôle de compétences indépendant, interne à l’entreprise, permettant de mutualiser des ressources de back-office (et plus récemment de front-office) en un seul lieu. Il assure la gestion des fonctions support pour plusieurs entités d’un même groupe comme les ressources humaines, la comptabilité, la finance, les achats, l’informatique ou encore le service client.
Historiquement, ce sont les secteurs de la distribution, de la banque et les télécoms qui ont le plus massivement basculé vers ce modèle de gestion des fonctions supports. Le plus souvent, ce mode d’organisation est plébiscité par les entreprises nationales et les grandes organisations internationales.
Avec son réseau de plus de 150 000 membres, le SSON (Shared Services & Outsourcing Network) constitue la plus grande communauté mondiale des professionnels de ce secteur. Depuis plus de 20 ans, ses experts analysent, étudient et partagent les grandes tendances qui caractérisent ces plateformes.
Si la comptabilité et la finance restent depuis longtemps les fonctions les plus prisées des plateformes d’expertise, on observe pour la première fois en 2020 que l’IA et la Data Analytics arrivent dans le Top 5, des services opérés par les CSP européens[1].
Ce qui motive le recours à un centre d’expertise, c’est avant tout la recherche de performance organisationnelle et d’amélioration de la productivité. Il permet en effet d’optimiser à moindre coût les ressources, tout en respectant les standards de la satisfaction client. Sa performance repose sur trois piliers principaux : les Hommes, les processus organisationnels et la technologie.
Le lieu d’implantation, enjeu stratégique dans la mise en place d’une plateforme d’expertise
Bien choisir le lieu d’implantation d’un CSP est capital pour la réussite du projet. En 2018, Lille’s agency a mandaté le cabinet EY pour réaliser un rapport à usage interne sur les tendances de localisation de ces plateformes d’expertise.
En Europe, les pays de l’Est ont tendance à attirer plus de projets CSP que l’Europe de l’Ouest ces dernières années. L’accès à des compétences linguistiques variées permet notamment cette attraction de centres d’envergure européenne et mondiale. Cependant, la montée en compétence de la main d’œuvre, exigée par l’évolution des métiers exercés au sein des CSP, s’accompagne d’une inflation des salaires à l’Est, tendant à réduire la dichotomie Est/Ouest portée par une logique de coûts vs valeur ajoutée.
Au niveau national, La France, apparaît moins mature sur le marché des CSP que ses voisins européens. En 2017, seulement la moitié des entreprises du CAC 40 avaient déjà adopté le modèle de centre d’expertise; la région parisienne captant une part importante de projets, s’expliquant en partie par la forte concentration de sièges sociaux sur son territoire. Pour autant, la métropole lilloise présente de nombreux atouts pour l’accueil de plateformes d’expertise : localisation au cœur de l’Europe, coût immobilier attractifs, densité du bassin de talents, mais aussi présence d’acteurs majeurs déjà implantés sur le territoire, également lié à la part importante de sièges sociaux établis dans la métropole.
Dans ce même rapport, EY, identifie 4 facteurs clés intervenant dans la décision d’implantation d’un CSP :
- Le bassin d’emploi et le vivier de talents
- L’attractivité financière (coûts immobiliers mais aussi salariaux)
- Le contexte économique, politique et culturel
- Le cadre de vie
Développer un centre d’expertise est souvent motivé par la réduction des coûts et les économies d’échelle. On note cependant que ce facteur financier est très fortement lié à l’accès et à la fidélisation des profils disponibles sur le territoire.
Les compétences linguistiques sont un critère important dans cette course aux talents : une multiplicité des pays à desservir exige de trouver du personnel compétent maîtrisant les langues demandées. L’interlocuteur direct du salarié se doit de parler correctement sa langue.
Quel est le niveau de qualification du personnel et les coûts de la main d’œuvre sur le territoire ? Dispose-t-il d’un vivier important de jeunes diplômés ayant acquis les compétences essentielles dans les secteurs concernés ? Autant de questions qui se posent lors de l’étude d’un écosystème et auxquelles les territoires se doivent de répondre s’ils souhaitent accueillir de nouveaux centres d’expertise.
2020 : année de confirmation pour les CSP européens
L’année 2020 a bouleversé l’organisation des CSP en Europe. L’accent a été mis sur les activités qui permettent de maintenir un flux de trésorerie positif. Naomi Secor, Directrice Opérationnelle du SSON, partage cependant un constat positif :
Quel que soit le pays, les CSP ont toujours été en mesure de maintenir leur activité, avec une qualité de service élevée malgré la crise et ses conséquences.
Il y a quelques jours, Naomi Secor, nous partageait 4 grandes tendances au sein des CSP, accélérées, si non induites, par la crise que nous traversons :
Tout d’abord une tendance au rapatriement de plusieurs opérations au sein d’un même centre. Ces « super centres », communément appelés Global Business Services (GBS) et qui mutualisent plusieurs typologies de services sur un même site, sont amenés à devenir la nouvelle forme des CSP actuels. En 2020, près de 40% des acteurs interrogés par le SSON confirmaient leur volonté d’étendre leur offre de service au sein de leur CSP et ainsi basculer vers un modèle de GBS[2].
La crise de la covid-19 a aussi entraîné une digitalisation des process beaucoup plus rapide que prévue.
« Dans le contexte actuel, la capacité à intégrer l’IA, la data Analytics et l’automatisation des process, sont des attentions majeures des GBS« , précise Noami Secor.
Une tendance que l’on retrouve dans les principaux objectifs exprimés par les GBS pour les 5 prochaines années à savoir, accroître leur productivité grâce à l’IA (65%) et élargir leur périmètre d’intervention (65%)[3].
Autre enjeu crucial, directement lié à la digitalisation des plateformes de service, l’analyse de la donnée destinée à appuyer la prise de décision. Parmi les acteurs interrogés, ils sont 56% à considérer que la première utilité de la Data Analytics est de soutenir les prises de décisions. Pour autant, le même pourcentage de répondants considère que l’analyse de la donnée est encore à un stade élémentaire dans leur organisation. L’enjeu réside donc dans la capacité future des plateformes d’expertise à analyser leurs données pour en avoir une meilleure compréhension et ainsi mieux accompagner leurs prises de décisions stratégiques[4].
Enfin, la stratégie de « near shoring», une tendance observée depuis déjà plusieurs années, s’est intensifiée à mesure que les déplacements internationaux ont été complexifiés par la crise sanitaire. En opposition aux stratégies d’off shoring, cette nouvelle pratique tend à rapprocher géographiquement les opérations, tant pour des raisons éthiques, devenues inhérentes aux entreprises, que pour faciliter les échanges essentiels entre le siège et la plateforme d’expertise.
À l’image de l’enseigne britannique de distribution Tesco, qui a ouvert en 2019 son nouveau CSP en Hongrie[5]. Quinze ans après l’ouverture de son premier centre en Inde, Tesco opte pour le near shoring européen et annonce la création de 800 emplois à haute valeur ajoutée sur le site hongrois.
Dans un pays comme la France où le télétravail était encore loin d’être là norme il y a quelques années, la crise de la Covid-19 a aussi ouvert de nouvelles perspectives managériales. D’abord contraints de devoir travailler et manager à distance, nombreux sont ceux qui ont constaté que le management pouvait aussi s’adapter et continuer de fonctionner. Une nouvelle étape de franchie dans l’acceptation de la décentralisation du pouvoir en entreprise. Alors que les maîtres-mots en cette période de crise sont flexibilité et adaptation, il semble que les CSP s’affirment comme un levier stratégique entre les mains des décideurs.
[1,2,3,4] : Source SSON’s state of shared services & outsourcing industry survey 2020
[5] Source : Hungarian Investment Promotion Agency